Gestion des baleines de la planète : Consensus difficiles à Portoroz
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Par André NAOUSSI, à Portoroz (Slovénie)
Les délégués de 58 pays (dont 11 africains) et d’une vingtaine d’ONG et observateurs n’accordent pas leurs violons sur les meilleures approches pour une gestion durable des baleines. Débats houleux à l’issue incertaine, à la 68ème session biennale de la Conférence baleinière internationale (CBI 68), dans la cité balnéaire de Portoroz en Slovénie (Europe centrale).
Dix jours d’échanges et de conciliabules, et toujours pas d’unanimité sur les principaux points en débat pour décider du sort de la baleine, ce grand mammifère marin tant prisé sur tous les continents. Les enjeux sont énormes, et les intérêts fortement divergents. Source de protéines et de devises, produit touristique, matière à recherche scientifique, objet de pratiques cultuelles, la baleine était menacée de disparition, lorsqu’en 1946 un organisme mondial fut créé pour réglementer sa chasse et son commerce (la CBI, Conférence baleinière internationale, avec siège à Cambridge au Royaume Uni). La menace ne s’étant toujours pas estompée à cause de la violation des quotas attribuée aux pays, la CBI a fait entrer en vigueur en 1986 un ‘’moratoire’’, qui interdit totalement l’octroi de nouveaux quotas pour la chasse aux baleines dans le monde. Statu quo depuis lors, du moins officiellement.
La guerre du ‘’moratoire’’
Depuis une dizaine d’années, certains États estiment que l’espèce s’est suffisamment régénérée, et militent pour la levée du moratoire ; la CBI freine des quatre fers, soutenue en cela par des dizaines d’Ong de défense de l’environnement. Ce qui a amené la Norvège et le Japon à se retirer de la CBI pour reprendre la chasse à la baleine à des fins commerciales, autant pour leurs marchés locaux très friands qu’à l’international ; les USA menacent de leur emboiter le pas.
Pour leur part, la plupart des pays africains souhaitent une levée contrôlée du moratoire, pour des impératifs liés à la sécurité alimentaire, ainsi qu’au nom du droit des peuples à jouir des ressources naturelles de leur environnement immédiat. Ils ont affiné leur plaidoyer lors de concertations organisées par la Conférence ministérielle sur la Coopération halieutique entre États africains riverains de l’Atlantique (COMHAFAT) ; cet organisme basé à Rabat au Maroc prend également en charge les frais de transport et d’hébergement des délégations africaines présentes à Portoroz. En marge des travaux, il signe un ‘’mémorandum d’entente’’ avec la CBI.
Sanctuaires à baleines ?
Les parties agrippées au maintien du ‘’moratoire’’ font valoir, entre autres, le cycle lent de reproduction des baleines, leur utilité pour la stabilisation d’autres espèces de cétacés, le risque d’une utilisation abusive de nouvelles licences, la dictature des moyens techniques des pays développés, l’accroissement de la pêche illégale. Même l’argument de sécurité alimentaire des pays africains est botté en touche, au motif que cette question relève de la compétence de la FAO.
Pour en rajouter aux divergences et à la tension, une proposition plus radicale revient à l’ordre du jour cette année : la création de ‘’sanctuaires à baleines’’, des zones où même les quotas de chasse en vigueur depuis quatre décennies seraient supprimés. L’Amérique latine propose d’en expérimenter une dans l’Atlantique Sud. L’Afrique ne soutient évidemment pas une telle initiative ; pour les autres continents, c’est carrément fifty-fifty pour ou contre.
Finances tendues
Dans cette guerre des positions tranchées, la situation préoccupante des finances de la CBI semble reléguée au second plan. Les pays qui se sont retirés étaient de gros contributeurs. La pandémie du Covid a érodé les ressources de plusieurs États, qui sont en retard ou en cessation de paiement. Le déficit annuel avoisine 365.000 dollars, soit près du quart du budget de l’organisme. La commission des finances propose trois mesures drastiques, au choix : réduire les dépenses de 8% en 2023,augmenter les contributions des pays de 5% dès 2023, augmenter les contributions annuelles de 10% à partir de 2023. Là encore, débats houleux, proches du tollé ; l’on s’achemine néanmoins vers une augmentation modérée des cotisations (5%), mais à partir de 2024.
Ce mince consensus s’entrevoit également sur une proposition de l’Union européenne pour lutter contre les déchets plastiques dans les océans. Mais les patates chaudes seront certainement remises en mer, pour émerger à la CBI 69, en 2024 au Pérou.