Economie bleue aux Comores
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Youssouf Ali Mohamed, directeur général adjoint des pêches
«Nous faisons tout pour palier nos faiblesses et prendre toute notre place dans notre région»
«Notre principale faiblesse se situe au niveau du contrôle des activités de pêche dans la région. Il est vrai qu’au moment où l’on vend un potentiel de capture, au moment où les armateurs viennent prendre les licences, nous devrions être capables de faire le suivi de ces bateaux.» Dans un long entretien à lire en pages II et IV, Youssouf Ali Mohamed, directeur général adjoint des pêches à la Direction générale des ressources halieutiques, nous dit absol
Depuis mars 2015, la Direction générale des ressources halieutiques a lancé une campagne de sensibilisation des textes réglementant la pêche aux Comores. On en est à quel stade?
Je dois rappeler que la diffusion et la sensibilisation de la réglementation en matière de pêche aux Comores est un aspect du travail que nous faisons. Car pour que ce secteur puisse se développer, nous devons traiter deux sujets très importants. Il faut d’abord définir clairement la politique du secteur. Et puis cette politique doit être accompagnée d’un cadre réglementaire. Ces deux aspects sont très importants pour voir clairement où est-ce qu’on est et où est-ce qu’on veut y aller. La politique a déjà été définie, il y a des axes clairs de développements du secteur qui sont retenus. Et maintenant parallèlement à cela, il faut développer la réglementation.
Nous avons adopté la loi portant code de la pêche en 2007, qui est un cadre global pour réglementer le secteur. Mais pour travailler il faut des textes d’application qui viennent préciser les choses qui n’ont pas été développées dans la loi. Une partie de ces textes est déjà faite mais ce n’est pas un exercice qu’on finit en un jour. Nous avons déjà rédigé et adopté un premier lot de textes réglementaires, il fallait donc sensibiliser les acteurs concernés pour pouvoir mettre ces textes en œuvre.
Nous sommes en cours de préparation d’un deuxième lot qui viendra compléter le premier lot d’application déjà adopté. Nous avons commencé la sensibilisation. Et, là encore, ça va prendre du temps. Car il s’agit de nouvelles dispositions, des choses qu’on n’a pas l’habitude voir et dont les acteurs vont devoir s’y conformer. Pour qu’il n’y ait pas de problème, pour qu’il y ait de l’harmonie dans l’exercice de la pêche, il nous faut entrer en discussion avec les acteurs du secteur de la pêche.
Dans les premiers textes d’application, il était question de redevance d’immatriculation des navires de pêche. Elle est déjà en application?
Les redevances ou les licences qui devront être payées par les acteurs opérant dans le secteur de la pêche sont prévues par le code. Mais nous venons de préciser cela encore dans les textes d’application. Au niveau du plan d’action du gouvernement adopté dernièrement, il est dit que le secteur de la pêche doit apporter sa contribution à travers ces redevances au budget de l’État. Actuellement, nous sommes en train de mettre en place les mesures pratiques permettant d’aller vers la collecte. D’ici la fin du trimestre, nous devrons commencer la collecte.
La première disposition pratique à prendre, c’est de relancer très prochainement des réunions de sensibilisation dans l’ensemble des îles. C’est juste un rappel car au moment de la première campagne de sensibilisation tout cela a été clairement expliqué. Pour ce qui est de la deuxième disposition, il faut qu’au niveau du ministère des Finances il y ait un texte réglementaire qui précise cette taxe. Il faut ouvrir un compte bancaire spécifique ou indiquer un compte qui existe déjà dans lequel nous allons verser cet argent collecté. L’ensemble de ces mesures est en cours de préparation.
Dans les premiers textes d’application, il était question de redevance d’immatriculation des navires de pêche. Elle est déjà en application?
Les redevances ou les licences qui devront être payées par les acteurs opérant dans le secteur de la pêche sont prévues par le code. Mais nous venons de préciser cela encore dans les textes d’application. Au niveau du plan d’action du gouvernement adopté dernièrement, il est dit que le secteur de la pêche doit apporter sa contribution à travers ces redevances au budget de l’État. Actuellement, nous sommes en train de mettre en place les mesures pratiques permettant d’aller vers la collecte. D’ici la fin du trimestre, nous devrons commencer la collecte.
La première disposition pratique à prendre, c’est de relancer très prochainement des réunions de sensibilisation dans l’ensemble des îles. C’est juste un rappel car au moment de la première campagne de sensibilisation tout cela a été clairement expliqué. Pour ce qui est de la deuxième disposition, il faut qu’au niveau du ministère des Finances il y ait un texte réglementaire qui précise cette taxe. Il faut ouvrir un compte bancaire spécifique ou indiquer un compte qui existe déjà dans lequel nous allons verser cet argent collecté. L’ensemble de ces mesures est en cours de préparation.
Qui sera concerné par ces redevances?
Les navires étrangers, eux, opèrent dans le cadre d’un accord de pêche précis qui a déjà défini ces redevances qui sont régulièrement versées. S’agissant de la pêche artisanale comorienne, c’est là où il y a la nouveauté parce que nos pêcheurs n’ont pas cette habitude de payer des redevances.
C’est-à-dire que le gouvernement s’approprie à travers ces mesures, le patrimoine marin. Les pêcheurs seront appelés à payer. La redevance est fixée en fonction de la puissance du moteur. Ce qui veut dire que ce sont seulement les embarcations motorisées qui sont concernées. Pour ce qui est des pirogues artisanales, les propriétaires sont appelés à s’enregistrer même s’ils ne vont pas payer. Il est nécessaire, en effet, de recenser tous les acteurs opérant dans le secteur.
Le nombre des personnes évoluant dans le secteur de la pêche aux Comores…
On est à peu près à huit mille cinq cent pêcheurs. Mais si l’on tient compte des autres activités au tour du secteur- car il y a le secteur privé, les femmes revendeuses, etc., on estime à trente deux mille les personnes qui vivent du secteur de la pêche.
Vous avez parlé de politique nationale en matière de pêche. Quels sont ses principaux axes?
Cette politique s’inscrit dans le Dsrp (Document de stratégie et de réduction de la pauvreté), renouvelé à travers la Sca2d (Croissance accélérée et du développement durable). il y a trois axes retenus dans le cadre du développement du secteur de la pêche. Premier axe concerne le renforcement constitutionnel. C’est-à-dire doter le pays d’un département avec les moyens et les personnes ressource et les outils qui permettront de faire le suivi et le quotidien dans la gestion des ressources. Et puis nous avons le deuxième axe qui couvre le renforcement des moyens de production.
Il s’agit en pratique du renforcement et de l’extension de la capacité des bateaux et la formation des pêcheurs. Enfin, le troisième axe c’est la valorisation et la promotion des exportations de nos ressources marines. Après avoir produit, il faut faire en sorte que ces produits là puissent être transformés, contrôlés, certifiés quant à leur qualité, et éventuellement exportés.
En 2015, les Comores avaient reçu un avertissement de la part de la Commission européenne et risquaient d’être recensées dans la liste des pays non coopératifs en matière de lutte contre la pêche illicite. Comment les choses ont-elles évolué depuis?
Effectivement elle avait considéré que les Comores n’avaient pas les capacités de faire le suivi des navires qui battent pavillon comorien et qui opèrent à l’extérieur du pays. Parmi ces bateaux, nous avons des navires marchands, mais aussi des navires de pêche. On évalue à une quinzaine de bateaux de pêche inscrits dans le registre du pavillon national.
La partie européenne considère que comme nous sommes un État de pavillon, nous devrions remplir les obligations d’un tel État. Cela consiste à faire le suivi de ces bateaux, savoir qui en sont les propriétaires, où est-ce qu’ils opèrent et qu’est ce qu’on fait de la production des ses bateaux et à veiller à l’application de notre réglementation par ces bateaux. Elle a considéré que nous n’avons pas les moyens d’assurer ce suivi. D’où le carton jaune sous forme d’avertissement pour attirer l’attention des autorités comoriennes tenues de faire en sorte que ces bateaux respectent la législation nationale et internationale.
Donc, qu’est-ce qui est fait depuis?
Des dispositions sont prises au niveau national. La question du pavillon n’est pas exclusive à notre ministère. Elle doit être traitée à la fois par le ministère en charge de la Pêche mais aussi des Transports. Une commission mixte, pêche et transport, a été mise en place. Et une feuille de route est établie qui doit nous amener vers la conformité. Nous avons répertorié les failles, et les questions qui préoccupent l’Union européenne et qui nous préoccupent, nous, aujourd’hui.
Lundi 30 janvier dernier, l’assemblée nationale nous a convoqués pour, justement, s’enquérir de l’état d’avancement de nos travaux. Le dossier est en bonne voie. Notre ministère a déjà saisi le ministre des Transports. Une liste des bateaux incriminés nous a été communiquée. Et un courrier a déjà été adressé officiellement aux armateurs concernés pour les rappeler de la nécessité de se conformer aux exigences de notre législation. Nous avons un délai très réduit et si d’ici là ces bateaux ne s’alignent pas, ils seront délistés du registre du pavillon comorien. Et je pense que là une solution sera trouvée par rapport à ce que l’Union européenne demande à la partie comorienne.
On constate que c’est la gestion offshore de notre pavillon qui est le véritable problème. Qui gère aujourd’hui, ce registre de la flotte battant pavillon comorien?
C’est au niveau du ministère de la Pêche et, dans sa globalité, par le ministère des Transports. Je ne voudrais pas rentré en détail sur la question du pavillon, car elle ne relève pas de nous, spécialement. A ma connaissance, le gouvernement a pris des dispositions pour transposer le pouvoir de délivrance des licences, qui s’exerçait à l’extérieur du pays. Et cela se fait actuellement à Moroni. Une nouvelle agence a été créée, et c’est cette «Agence nationale des affaires maritimes» qui a ce pouvoir de délivrer des licences.
Lors de vos échanges avec les parlementaires, il était aussi question des accords de pêche. A-t-on parlé d’un renouvellent de l’accord entre les Comores et l’Union européenne?
C’est une politique internationale en matière de pêche appliquée dans le monde entier et qui peut aussi se faire entre pays aussi si le besoin se manifeste. Cette politique, encouragée par le droit de la mer, veut que si un pays a des potentialités en matière de pêche et que ces capacités nationales ne peuvent pas exploiter la totalité de ces ressources, il y ait cette possibilité de céder le reliquat à d’autres pays qui sont demandeurs.
Il se trouve que l’Europe a une surcapacité technique en matière de bateaux, mais des potentialités en ressources marines limitées. Elle fait recours à des accords de pêche dans le monde entier. Il faut noter, également, que les accords de pêche ne datent pas d’aujourd’hui. Ils ont signés depuis les années quatre-vingt et ils sont renouvelés tous les trois, quatre ou cinq ans.
Parlons de l’accord des Comores…
Le nouveau protocole de pêche Ue et l’Union des Comores a été négocié en mars 2016 à l’île Maurice. Mais ce protocole ne pouvait pas entrer en vigueur avant que les procédures de ratification ne soient pas accomplies. Pour la partie européenne, le protocole négocié doit passer par le Parlement européen et, en ce qui nous concerne, il doit passer en conseil de ministres pour validation. Le protocole a pris un retard, car c’est au début de ce mois qu’il est passé en conseil et le gouvernement a autorisé sa mise en application sous condition. Le conseil a exhorté le secrétariat général du gouvernement à entrer en contact avec l’équipe technique du ministère de la pêche pour commencer à étudier comment on peut améliorer les retombées de cet accord, dans l’avenir.
Quelles sont ces conditions et quelles sont les retombées attendues?
Généralement quand on négocie les accords de pêche, il y a trois à quatre aspects qu’on regarde. La durée, le nombre de bateaux qu’on va autoriser, et on regarde le prix des licences. Et puis,on examine la question le tonnage de référence. C’est- à-dire la quantité théorique que nous allons accorder à la partie européenne. Si on examine tous ces aspects là, nous trouvons que dans le nouveau protocole signé nous avons réduit le nombre de bateaux par rapport au précédent protocole. C’était une mesure de précaution parce que nous sommes en train de développer une flotte nationale. Donc, nous avons voulu laisser une marge par rapport à notre future flotte.
On en est à combien de navires autorisés?
Nous étions à cinquante. Là nous sommes à quarante bateaux autorisés à pêcher dans nos eaux territoriales. S’agissant des licences, nous avons doublé le prix et nous sommes passés de quatre mille euros l’unité à huit mille. Il faut noter que la contrepartie des accords de pêche a deux dimensions financières : Il y a la redevance payée par les armateurs et la contrepartie elle-même payée par l’Ue avant même que les bateaux viennent. Elle avoisinait les 400 millions de francs annuels, désormais elle est 500 millions. Celle des armateurs est payée, progressivement, au moment où ils demandent la licence. Elles constituent les retombées globales des accords de pêche.
De combien est la durée du nouvel accord?
Cinq ans. Cela a fait l’objet d’un débat. Mais deux choses nous ont poussés à retenir cette durée de cinq ans. Il y avait un souci d’harmonisation des accords au niveau régional et international de la part de l’Union européenne, au moment elle veut négocier. Car d’habitude quand ils négocient, ils aiment faire le tour des pays pour négocier en même temps. De notre côté, il y avait le souci d’avoir un financement dans la durée. Car le financement est inscrit dans le budget de l’État.
Les Comores n’ont pas cette capacité technique de contrôler les prises de poissons dans ses eaux. Ne risquons-nous pas de toujours sous-estimer notre offre?
C’est là où se situent les faiblesses du pays. Il est vrai qu’au moment où l’on vend un potentiel de capture, au moment où les armateurs viennent prendre les licences, nous devrions être capables de faire le suivi de ces bateaux. La meilleure façon de pouvoir le faire, c’est d’avoir un port de débarquement. Car la logique voudrait que ces bateaux qui viennent opérer dans nos eaux débarquent chez nous, transforment chez nous. Eux, devraient exporter un produit fini. Le manque de ces ports constitue une faiblesse, il est vrai.
Tout se fait sans contrôle, si je vous suis bien?
Non, nous avons trouvé un moyen pour pallier à cela. Les Comores ont adhéré à une organisation régionale de gestion de pêche, la Commission des thons de l’Océan indien qui assure le suivi et la gestion du stock de thon au niveau régional. Tous les poissons pêchés dans l’Océan indien sont débarqués dans deux ports connus aux Seychelles, éventuellement à Maurice et, quelques fois, à Madagascar. Au niveau de ces ports, l’organisation disposent de ses inspecteurs qui assurent le débarquement et la comptabilité de chaque pays.
Ce qui nous permet d’avoir une situation générale. Par ailleurs, nous avons, depuis sept ans, un système de suivi des bateaux par satellite qui nous permet de suivre les mouvements de tous les bateaux qui ont pris des licences aux Comores et qui entrent dans nos eaux. En fonction de la position et des mouvements de ces bateaux, nous sommes en mesure de savoir si un bateau est en train de pêcher ou s’il est au repos. Ensuite nous confrontons nos propres données avec celles mises à disposition au niveau régional pour pouvoir avoir une idée des captures et disposer des arguments au moment des négociations.
A combien s’élève le nombre de bateaux qui ont déjà pris une licence?
Depuis que la piraterie a commencé au niveau de l’Océan indien, cela fait dix ans déjà, la flotte européenne s’est considérablement réduite car ils considèrent qu’il y a un risque dans la région. Tous les bateaux de petite taille, censés opérer tout près des côtes, viennent, désormais, très peu. Ce qui veut dire que sur un potentiel de quarante bateaux que nous négocions, nous avons une moyenne de vingt à vingt-deux qui viennent annuellement pour demander des licences. Ce qui veut dire que nous vendons un potentiel de quarante, mais la demande effective se situe véritablement au tour de cinquante pour cent. Mais cela n’impacte pas dans l’enveloppe négociée avec l’Ue.
Ce sont des versements effectués à chaque début d’année, que les armateurs viennent ou non. A part cette contrepartie versée par l’Union européenne liée à la possibilité d’accès que nous donnons aux bateaux, la partie européenne débloque une autre enveloppe destinée à l’appui sectoriel.
Des problèmes de certification auraient retardé l’ouverture de la société nationale de pêche. Qu’en est-il exactement?
En fait, le processus d’exportation exige un certain nombre de choses de la part du pays exportateur. A part le fait de disposer de la quantité à exporter, il faut qu’on ait une autorité sanitaire compétente, agréée et reconnue par le marché international. Deuxième condition, il faut qu’il y ait un laboratoire officiel agréé, pour faire les analyses requises. Ces deux questions incombent au ministère de la pêche et de l’agriculture. Nous disposons, certes, de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, la pêche et l’environnement (Inrape) mais il n’est pas équipé de labos agréés. Des négociations sont en cours entre notre ministère, la société nationale de pêche et des partenaires financiers pour que nous puissions disposer, dans les meilleurs délais, de ce laboratoire.
S’agissant de l’autorité compétente de certification, depuis que nous avons initié ce projet de société de pêche – un projet initié par notre ministère même si les partenaires financiers viennent d’ailleurs – nous savions que ce problème de certification allait se poser. Nous avons donc, depuis 2012, lancé le processus de mise en place de l’autorité de certification. Une feuille de route est mise sur pied pour la création de cet organe. A la date d’aujourd’hui, je peux vous rassurer que plus 80 pour cent des actions retenues dans cette feuille de route ont été exécutées. Les quelques actions qui restaient sont en cours de mise en œuvre. La phase qui nous reste actuellement, c’est faire la demande aux marchés importateurs pour qu’ils viennent nous évaluer. La demande sera adressée, bientôt, aux institutions spécialisées pour qu’elles viennent le faire et voir si nous avons bien rempli les exigences requises.
Dernièrement, un forum sur l’Économie bleue a été organisé à Moroni. Y a-t-il une démarche pour faire évoluer notre législation à ce nouveau concept?
C’est une stratégie nouvelle qui a été définie au niveau international. Traditionnellement, les pays se sont contentés de l’exploitation des ressources halieutiques exclusivement. Alors qu’il y a un potentiel au tour des activités qui tournent au tour de la mer. L’économie bleue, ce sont toutes les activités qu’on peut développer au tour de la mer. Et on appelle les pays à réfléchir sur des stratégies qui vont valoriser toutes ces activités au tour de la mer. Bien sûr, les Comores se sont inscrites dans cette dynamique internationale. Il y a une commission nationale, présidée au niveau du ministère des Affaires étrangères, qui réfléchit sur une stratégie de matérialisation de ce concept d’Économie bleue en Union des Comores.
Propos recueillis par
Kamardine Soulé