Un expert de l’ONG Renatura remet à l’eau une tortue marine après l’avoir examinée. Crédit image: Jean-David Mihamlé.
Par: Jean-David Mihamlé 21/09/2021
[POINTE-NOIRE] Le Congo et le Programme des Nations-unies pour l’environnement (PNUE) ont convenu en 2017, de créer une Aire marine protégée dans la baie de Loango, située à 15 Km de Pointe-Noire.Le projet a été officiellement lancé le 26 mars 2018. La cartographie de cette aire marine protégée, adoptée le 28 mai 2021, après l’approbation des autorités, des riverains, des partenaires techniques et financiers, etc., indique qu’elle s’étalera sur près de 50 000 hectares dont 45000 hectares marins et 5000 hectares terrestres).
Cependant, trois ans après le lancement, le projet est confronté à une insuffisance de ressources financières.
“Avec ce projet, on s’attend à ce que la mangrove gagne du terrain et tempère ainsi les eaux tumultueuses de la mer, ce qui est très important pour la reproduction des poissons. Et puis il ne faut pas sous-estimer la capacite de séquestration du gaz carbonique par la mangrove”
Felix Kobouana, université Marien Ngouabi, Brazzaville
« C’est vraiment difficile le financement des aires protégées. (…) C’est la portion congrue. Sur un budget prévisionnel de 3 400 000 dollars, disons que 70 % du financement ne sont pas disponibles », confie à SciDev.Net Constantin Mbessa, le directeur du projet Aire marine protégée de Loango (AMP).
A l’en croire, la contribution du Congo est toujours attendue. Le directeur de l’AMP qui est par ailleurs cadre au ministère de l’Economie forestière et du développement durable explique les difficultés du Congo à faire face à ses engagements « par la sévère crise économique que traverse le pays du fait de la chute des cours du pétrole, sa principale source de revenus, et par les conséquences économiques de la COVID-19 notamment ».
Conséquence : le chronogramme initial du projet a été modifié. « Au regard de la situation nous avons dû redéfinir les priorités pour aller à l’essentiel : à ce qui peut nous permettre d’aller au classement de l’aire marine », souligne le directeur du projet.L’accent est ainsi mis sur « la composante 1 » du projet, relative à l’étude d’impact environnemental et à la confection de la cartographie.
Toutefois, l’étude d’impact environnemental n’est pas encore à jour, « faute des analyses des composantes air, sol et de l’inventaire des ressources biologiques marines », déplore le directeur du projet.
Une situation qu’il impute au consultant préposé à la tâche, limité à la fois par les ressources humaines et financières.
« La composante 2 » du projet prévoit aussi un observatoire des tortues marines. De l’aveu du directeur du projet, « compte tenu des difficultés financières, (…) le projet capitalisera sur le savoir-faire de Renatura, même s’il se posera un problème de financement d’outils pour la mise en place de l’observatoire », affirme ce dernier.
4 espèces de tortues sur 7
Créée au Congo en 2005, cette ONG s’illustre par ses activités de protection des tortues marines dans la baie de Loango. Ses programmes phares sont : la libération des tortues marines accidentellement piégées par les filets des pêcheurs et le suivi des pontes des tortues marines le long de la côte congolaise.
« Le Congo abrite 4 des 7 espèces de tortues marines qui existent au niveau mondial, notamment les tortues luths, olivâtres, vertes et imbriquées », explique Morgane Nigon de Renatura.
A en croire cette dernière, la baie de Loango est un endroit où les tortues vertes passent la plupart de leur temps à un stade juvénile pour venir s’alimenter.
« Mais on accueille aussi des tortues luths. C’est le site à l’heure actuelle qui abrite le plus grand nombre d’individus de cette espèce-là. Auparavant, c’était la Guyane française ; mais aujourd’hui les tendances se sont inversées », indique Morgane Nigon.Malgré les difficultés de financement, Alexis Goma, le coordonnateur du projet AMP pour le compte de Renatura, demeure optimiste.
« Le projet avance bien, surtout grâce à l’appui technique de Renatura qui a reçu un financement de Rainforest Trust. Les préalables comme la cartographie et étude socioéconomique, sont effectifs, alors que l’étude sur l’impact environnemental est en cours, de même que l’étude juridique qui donnera un statut à l’aire marine protégée de Loango », précise-t-il.
Régulateur
Ce programme est perçu par l’écologiste Felix Kobouana, par ailleurs enseignant et chercheur à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville, comme un véritable régulateur de la vie marine.
« Du fait de nombreux endroits dégradés sur la côte congolaise, cette zone sera un havre non seulement pour les tortues marines qui pourront aisément nidifier et se reproduire mais aussi pour les poissons », soutient l’écologiste qui a du reste participé à une étude préliminaire sur le projet en 2014, à l’initiative du ministère de l’Economie forestière.
« On s’attend à ce que la mangrove gagne du terrain et tempère ainsi les eaux tumultueuses de la mer, ce qui est très important pour la reproduction des poissons. Et puis il ne faut pas sous-estimer la capacite de séquestration du gaz carbonique par la mangrove, menacée par ailleurs par les pêcheurs qui l’utilisent pour fumer le poisson », conclut Felix Koubouana, interrogé par SciDev.Net.
L’insuffisance des moyens financiers risque également d’impacter les activités génératrices de revenus, au profit des quelques 4 000 habitants riverains de la baie de Loango.
Alors que 15 micro-projets communautaires, allant de la pêche (huit) à l’agriculture (trois) en passant par l’élevage (quatre) ont été retenus, le problème de leur financement se pose.
Activités génératrices de revenus
Le coût global de ces initiatives génératrices de revenus au profit des riverains, est d’environ 182 000 dollars, alors que le projet AMP dispose d’à peine 22 000 dollars. « Juste suffisamment pour financer deux projets et demi », souligne Constantin Mbessa.
« L’absence de moyens de la « composante 3 » (activités génératrices de revenus, ndlr) n’impactera pas fondamentalement le projet. Il a été demandé aux communautés riveraines d’être patientes. Avec notre travail de sensibilisation, leur adhésion est totale », relève pour sa part Alexis Goma de Renatura.
Toujours est-il que la communauté des pêcheurs de la Côte indienne, rencontrée par SciDev.Net, compte beaucoup sur cette initiative.
« Nous comptons énormément sur cette aire marine protégée », s’enthousiasme Jean Benoit Tchifounga, propriétaire de plusieurs pirogues de pêche sur la côte indienne.
« Actuellement la pêche ne donne rien, du fait des bateaux de pêche chinois qui pèchent n’importe comment et occasionnent beaucoup de perte de filets. Nous comptons beaucoup sur le gouvernement pour règlementer ça et nous permettre de vivre », ajoute-t-il.
La fin du projet de création de l’aire maritime protégée de Loango est normalement prévue en avril 2022. Outre la protection des tortues marines, le projet devrait, espèrent les autorités congolaises, favoriser l’écotourisme et valoriser aussi le site touristique et historique de Loango, un ancien port d’embarquement des esclaves inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Source : https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/features/congo-labsence-de-fonds-bloque-le-projet-daire-protegee-de-loango/?fbclid=IwAR37xSIZrcZuTZTUAyFrgLLNDNSJg_lML2VG3ENc4mFIxCXaZ6Qgv-zk9Ig