Qui fait quoi dans nos eaux ?

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Par André Naoussi, envoyé spécial à Rabat (Maroc)

Dans le seul domaine de la pêche et de l’aquaculture, plus de quarante institutions se chevauchent sur le continent africain, avec des intentions généralement louables, mais une efficacité problématique. Leur ancrage et leur rationalisation étaient au centre de quatre jours de cogitation, fin octobre à Rabat, à l’occasion de la cinquième assemblée générale de APRIFAAS (acronyme anglais de la ‘’Plateforme africaine pour les institutions régionales de pêche, aquaculture et systèmes aquatiques’’). Travaux abrités par la Conférence ministérielle pour la coopération halieutique entre les États africains riverains de l’océan Atlantique (COMHAFAT), qui assure depuis avril 2022 la présidence de la plateforme.

Les cinq commissions économiques régionales (CER) du continent africain auraient pu disposer chacune en son sein d’un organe unique en charge des questions de pêche. La réalité est toute autre : deux organes en Afrique de l’Ouest, pareil en Afrique Centrale et au Nord, trois à l’Est, idem dans la partie australe. S’y ajoutent des dizaines d’institutions spécialisées par zones, visions et centres d’intérêt. Très souvent, ils ont tous besoin des mêmes États ou bailleurs de fonds, dont l’embarras grandit sans cesse. C’est dans un souci d’harmoniser leurs programmes, de rationaliser leur fonctionnement et d’optimiser les ressources, que l’Union africaine, à travers le Bureau interafricain des ressources animales (UA-BIRA) a initié la plateforme APRIFAAS en 2015.

Une étude de terrain pour un état des lieux exhaustif a été confiée cette année à l’institut national de recherches sur les ressources halieutiques d’Ouganda (NaFIRRI), en vue de«proposer des stratégies appropriées pour la cohérence interrégionale, et un meilleur ancrage entre les CER et les divers organismes de pêche et d’aquaculture sur le continent». Le tableau dressé par le chef de l’équipe, Winnie Nkalubo, en dit long sur les réformes à mener au plan institutionnel, juridique, diplomatique, financier, fonctionnel : rivalités entre institutions, querelles de leadership entre régions, conflits interétatiques, gouvernance approximative, pressions des partenaires. Le rapport recommande, entre autres, la«nécessité d’un code harmonisé de procédures, et d’un mémorandum d’entente entre les divers intervenants».

Synergie des actions

La bourrasque inattendue du Covid-19 a davantage révélé la grande dépendance et la grave fragilité de nombreuses institutions, et mis en lumière«l’obligation d’une synergie des actions, pour éviter la grande menace du déclin», comme l’a rappelé avec force Cheikh Tidjane N’dongo, délégué de l’Agence de Développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD). La raréfaction des ressources en appelle à une prise de conscience accrue des décideurs, et à une collaboration totale des acteurs, afin d’atteindre les objectifs qui leur sont communs dans les ambitions affichées : gestion durable des ressources halieutiques, amélioration des conditions de vie des populations de la côte et de l’intérieur, accroissement des ressources des États, protection de l’environnement, lutte contre la pêche dite INN (Illégale, Non déclarée, Non réglementée).

Initiatives encourageantes

Des frémissements encourageants se dessinent déjà dans quelques régions, si l’on se réfère au tableau peint par le consultant Georges Mba-Asséko, et complété par d’autres intervenants. Fusion envisagée des organismes en Afrique centrale, spécialisations en vue en Afrique de l’Ouest, mutualisation des ressources humaines et matérielles en Afrique de l’Est, recentrage des priorités sur l’humain et l’environnement en Afrique australe et océan Indien, réorganisation dans les Grands lacs, redéfinition des mandats en Afrique du Nord…

Au bout du compte, toutes ces expériences éparses de restructuration doivent être partagées, pour une duplication des réussites et la fin des chevauchements. La communication devra jouer un rôle crucial dans ce processus ; il est envisagé un site web dynamique et une newsletter multilingue. Rendez-vous pour l’évaluation en octobre 2023, où la COMHAFAT s’engage à accueillir de nouveau au Maroc l’AG de l’APRIFAAS.

Quelques suggestions de APRIFAAS à Rabat…

  • Consolider la durabilité de la plateforme APRIFAAS par son inscription dans une ligne du budget de la Commission de l’Union africaine.
  • Renforcer les capacités des personnels dédiés au secteur halieutique dans les communautés économiques régionales (CER).
  • Mobiliser un plaidoyer de haut niveau, pour que les CER et les organismes régionaux de pêche (ORP) comprennent leur intérêt mutuel à procéder à leur ancrage.
  • Établir des consensus d’ancrage, pour les CER qui recoupent plusieurs ORP, ainsi que pour les ORP dont les activités chevauchent plusieurs CER.
  • Accorder une place importante à la communication (interne, publique, et interinstitutionnelle).
  • Attirer et intéresser le secteur privé ainsi que les institutions financières (nationales, régionales, continentales, mondiales).
  • Construire une base de données de ressources halieutiques de l’Afrique par des Africains, et promouvoir leur partage et leur libre exploitation.

Propos de quelques participants, APRIFAAS, Rabat, octobre 2022

Recueillis par André Naoussi

Abdelouahed BENABBOU, Secrétaire exécutif de la COMHAFAT

«Nous espérons une plus grande réactivité»

«Nous sommes heureux de mettre au service de l’Afrique notre modèle de coopération régionale, pour une collaboration fructueuse entre toutes les institutions en charge des questions halieutiques. Nous espérons une plus grande réactivité de leur part, pour une gestion coordonnée des ressources dans l’intérêt des populations actuelles et des générations futures.»

Winnie NKALUBO, chef de l’équipe NaFIRRI

«Feedback très positif des participants»

«L’harmonisation des activités devient un impératif d’efficacité et de survie pour nos institutions de pêche, de même que leur ancrage avec les communautés régionales. Nous sommes fiers d’avoir conduit l’étude qui ouvre des perspectives et mécanismes dans ce sens ; le feedback très positif des participants va permettre d’améliorer les propositions, et nous sommes disponibles pour leur mise en œuvre.»

Jacques ABE, délégué de la Convention d’Abidjan

«Intégrer les grands écosystèmes marins»

«Les grands écosystèmes marins doivent être intégrés dans la gestion collaborative des ressources halieutiques, parce qu’ils recoupent plusieurs régions, comme notre organisme qui s’étend sur 22 pays. Toutes les questions environnementales doivent être prises en compte dans la gestion des pêches. Notre expérience peut être utile, parce que nous couvrons des réalités diverses et contrastées de l’Afrique occidentale jusqu’en Afrique de l’Est.»